LES DAMNÉS DE LA TERRE

Le Tarmac
159 avenue de Gambetta
75020 Paris
Tél : 01 43 64 80 80

Jusqu'au 6 décembre
Du mardi au vendredi à 20h, les samedis à 16h.
Supplémentaires les jeudis à 14h30

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Mis en ligne le 9 novembre 2013

Les damnés

Franz Fanon, né à Fort de France en Martinique en 1925, s'engagea dans les forces de libération françaises en 1943, puis devint médecin psychiatre, profession qu'il exerça à Blida en Algérie à partir de 1954, avant de s'engager dans la résistance algérienne au point d'en devenir un des leader charismatique et un théoricien de la lutte contre la colonisation. Il fut aussi un penseur, philosophe et essayiste dont les textes sont plus étudiés à l'étranger que dans l'hexagone.

Grâce à sa vision de médecin psychiatre, il a cherché à faire entendre les souffrances et les aliénations provoquées par la colonisation et les discriminations raciales ainsi que les dégâts à long terme engendrés par ceux-ci, aussi bien dans les esprits des colonisés que dans celui des colonisateurs. Un discours puissant qui tente d'exprimer l'aliénation générale provoquée par les actes et les discours discriminatoires.

Le spectacle de Jacques Allaire tente de retranscrire la vision de Franz Fanon, ou plutôt son écoute, sa perception du monde qui l'entoure : les manuels de torture donnés par l'armée française, les discours d'universitaires et de scientifiques de l'époque accréditant les discriminations raciales (« L'africain n'utilise pas ses lobes frontaux, il n'a pas de cortex etc. »), puis une plongée dans l'asile psychiatrique où Fanon recueille les témoignages des traumatismes causés par la guerre, les tortures, la violence.

Mais le spectacle commence au cœur du mal être provoqué par le racisme : sous un arbre inversé pendu au ciel et dans un décor de chantier – comme une confrontation de la nature et de l'ouvrage de l'homme – surgit une explosion de peaux noires. Six interprètes presque dénudés, maculés sur tout le corps par une sorte de teinture couleur terre. Comme une salissure exposée qu'ils vont tenter de laver dans une sorte de cérémonial frénétique. Cette teinture est le symbole de cette souffrance ressentie par chacun des personnages dont les mots hurlent la condamnation qu'ils ressentent face à un monde de blancs.

C'est un théâtre qui veut faire sens de tout avec une implication presque religieuse dans chaque geste, comme si tout était à la fois fragile et explosif. Ce qui fait qu'on vacille entre l'immobilité tendue, intense et le mouvement répétitif, rituel presque névrotique.

Une stylisation des gestes, des attitudes, des déplacements qui vient en contrepoint d'une violence de mots, comme quelque chose qui s'arrache malgré soi.

Dans cet asile psychiatrique se croisent tous les traumatisés de la guerre : les victimes, les bourreaux. Mais pour Fanon, il n'y a pas réellement d'une côté les bourreaux et de l'autre les victimes, tous sont victimes, tous sont aliénés par les directives officielles, tous finissent traumatisés par les actes qu'ils subissent ou font subir parce que ce sont des actes inhumains et que, pour Fanon, la part humaine se révolte toujours. Voilà peut-être où se niche son espoir.

Jacques Allaire a créé là – avec des comédiens tous magnifiques, des porteurs de paroles – un spectacle fort, d'une esthétique presque trop belle, dans un système de jeu rigoureux qui se déroule exclusivement face public, peut-être dans le but de porter le message de Fanon le plus directement possible. Mais ces choix provoquent une sensation de répétition, transformant le spectacle en une suite de discours et de témoignages qui ne parvient pas à exalter. Une machine bien huilée, inexorable, dont on se sent un peu exclus, comme si ces mots étaient d'une autre époque alors qu'ils devraient nous parler de plein fouet.

Et pourtant, il y a là quelque chose de revigorant, comme lorsque l'on est soudain traversé par un éclair de lucidité et un sentiment de fraternité humaine.

Bruno Fougniès

 

 

Les damnés de la terre

D'après l'œuvre de Franz Fanon
Un spectacle de Jacques Allaire, mise en scène Jacques Allaire, scénographie Jacques Allaire et Dominique Schmitt, lumières Christophe Mazet, son Guillaume Allory et Jacques Allaire, costumes Wanda Wellard

Avec : Amine Adjina, Mohand Azzoug, Mounira Barbouch, Jean-Pierre Baro, Criss Niangouna, Lamya Regragui