LE PREMIER

Théâtre Les Déchargeurs
3, rue des Déchargeurs
75001 Paris
01 42 36 00 50

Jusqu’au 29 juin
Le lundi à 19h00

 

Le premier loupe 

Posez au sol une ligne blanche.
Placez un personnage derrière cette ligne.
Puis un deuxième, un troisième, un quatrième et un cinquième.
Et observez ces personnages.

Très vite vous remarquerez que toutes leurs interactions n’ont qu’un seul et unique but : leur faire gagner la première place.

Et très vite vous constaterez que la situation dégénère rapidement, les protagonistes enchaînant ruses et stratagèmes pour être le premier, avec une violence qui va crescendo, d’abord verbale, puis physique, jusqu’au pugilat final.

La fin justifie les moyens et tous les coups sont permis.

Face à ces cinq personnages : Fleming, un jeune quelque peu primaire, Stephen, « joli garçon » ressemblant à James Dean et fan de Mozart, Molly, une aguicheuse qui joue les femmes fatales, Arnall, son époux cocu, sorte de chiffe molle et Dolan, qui se croit philosophe, le spectateur se trouve dans la situation d’un scientifique observant des rats de laboratoire.

Pièce du dramaturge américain Israël Horovitz produite en 1967, Le premier (Line en anglais), est un huis-clos burlesque et absurde dénonçant les travers d’une société de compétitivité et de performance où, pour se faire une place, l’individu doit obligatoirement viser la première place, dans un effort constant et épuisant, non pas de se dépasser soi-même, mais de dépasser les autres.

Pour cadre à cette course vaine, un espace presque vide avec seulement une estrade et, collé à une de ses extrémités, du ruban adhésif blanc figurant cette fameuse ligne.

On aurait même pu imaginer un décor encore plus dépouillé, sans l’estrade, qui n’existait pas dans la mise en scène d’origine.

Horovitz aimait d’ailleurs à raconter que, lorsqu’il avait monté cette pièce pour la première fois, il ne disposait que de 80 dollars pour le décor. En n’utilisant qu’un bout de ruban adhésif pour tout décor, il avait réussi à économiser 78 dollars !

Sur cette estrade, devant cette ligne blanche, les cinq acteurs jouent aux chaises musicales, changeant constamment de place dans la file, s’invectivant, se bousculant, se poussant, avec une énergie prodigieuse et sur un rythme endiablé. Par moments, ils sautent de l’estrade et investissent le plateau, se démenant toujours comme de beaux diables sans ménager leur peine.

Tous – Alban Gérôme, Sylvain Savard, Pierre-Marie Schneider, Guillaume Tagnati, Lou Tordjman – sont remarquables et la pièce, en grande partie, repose sur leur présence électrique et leur jeu très physique.

Mais également sur la scénographie et la mise en scène de Dimitri Dubreucq qui utilise à merveille la danse et la musique.

Ainsi, les scènes de sexe entre Molly et ses partenaires sont suggérées par des chorégraphies à la « Dirty Dancing » particulièrement désopilantes.

Ainsi le tableau final, où la violence éclate dans son paroxysme, avec des protagonistes survoltés hurlant « pom pom pom pom » sur l’air du Dies Irae, accompagnés par la musique tonitruante du Requiem de Mozart.

Jouée des dizaines de fois à Paris, et à l’affiche d’un petit théâtre de Broadway pour la trente- neuvième année (on pense à La Cantatrice Chauve, au Théâtre de la Huchette depuis 1957), Le premier est également la pièce américaine la plus jouée dans le monde.

Une pérennité et un succès qui sont sans doute un gage de qualité.

Avant-hier, dans la salle Vicky Messica du Théâtre des Déchargeurs, que j’affectionne particulièrement, la qualité était au rendez vous.

Pourtant, pour moi, le plaisir était d’ordre cérébral plutôt que d’ordre émotionnel, sans que j’arrive à déterminer ce qui a fait défaut pour ne pas emporter ma totale adhésion.

Une impression qui n’engage que moi…

La salle était pleine et les spectateurs n’ont pas boudé leurs applaudissements.

Élishéva Zonabend

 

Le premier

d’Israël Horovitz
Mise en scène : Dimitri Dubreucq

Avec : Alban Gérome, Sylvain Savard, Pierre-Marie Schneider, Guillaume Tagnati et Lou Tordjman.

Traduction : Claude Roy

 

Mis en ligne le 4 juin 2015

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