LE GARDIEN

Théâtre des Déchargeurs
3 rue des Déchargeurs
75001 PARIS
Du mardi au jeudi à 19h30
Jusqu'au 4 juillet 2013

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Ennemies potiches

Il fallait oser, et Anne Voutey l'a fait, s'attaquer à cette pièce de Pinter, une des plus énigmatiques peut-être de son œuvre. Dans une sorte d'entrepôt indéterminé, nous voyons entrer Aston, un jeune homme suivi d'un autre, plus vieux, une sorte de SDF qu'il vient de sauver d'une bagarre. À partir de là, les relations entre ces deux-là, la présence de Mick, le frère de l'autre, ces jours et ces nuits qui passent, assortis de  vagues enjeux, …tout ceci reste bizarre, plus riche en questions qu'en réponses. Personne n'est clair dans cette histoire : le clochard s'appelle Jenkins mais son vrai nom est Travies. Il doit aller chercher ses vrais papiers quelque part et attend d'avoir de bonnes chaussures pour partir. Des deux frères, qui est le vrai propriétaire des lieux (s'il y en a un !) Qui manipule qui ? Pourquoi chacun des deux frères promet-il à Travies un emploi de gardien dans la place ?

L'idée force, idée que la metteuse en scène a eue bien sûr, mais qu'il aurait peut-être fallu creuser, c'est de fonctionner par strates : une chose est vraie, jusqu'à ce qu'elle soit remplacée par une autre. Tout est possible, tout se tient. Cette pièce, qui est tout sauf psychologique, a des parentés avec du Beckett : c'est un oratorio. On ne peut faire un sort à chacun des éléments avancés par les protagonistes. C'est plus un entrelacs de répliques qui tricote un semblant de relations entre les personnages : qui permet, peut-être, aux deux frères de communiquer par l'entremise de ce clochard. Celui-ci pourrait avoir d'ailleurs un jeu plus nuancé : si au début il est le seul élément « réaliste » avec ses préoccupations concrètes, comme de manger ou de dormir, il se rôde, peu à peu, aux manigances des deux frangins. Point besoin, pour l'aîné qui a fait de l'H.P, d'en rajouter. Le comédien a une présence (dans l'absence) une douceur trompeuse qui le rend tout à fait crédible. Bravo à Jean-Philippe Marie (Mick), à la fois fielleux et déjanté, qui sait être menaçant presque sans rien faire.

Un mot sur le décor, décor de chariot de supermarché rempli de « cochonneries », dont on déplore qu'il ne bouge pas plus, ne se renverse pas, ne serve à rien qu'à être là pour supporter une énigmatique petite statue. Est-ce que les projections sur écran s'imposaient ? Pas forcément, sauf peut-être à la fin où on nous livre, façon « Orange mécanique » une des clés possibles de l'histoire.

En un mot, ce spectacle, malgré ses à peu près, est prenant : il donne à penser et outre son intrigue, offre des moments théâtraux dans le bon sens du terme : quand une ombre (laquelle ?) se glisse dans la nuit de l'entrepôt, quand le monologue d'un frère ou de l'autre nous transporte ailleurs, parce qu'il prend son temps, qu'il n'en rajoute pas. Également quand le SDF apeuré, effaré, regarde tour à tour ses deux bourreaux. Belle performance, soit dit en passant, de Jacques Roussy, geignard et sur un perpétuel qui-vive. Le comédien ne dévie pas de sa ligne et nous laisse entrevoir dans son jeu et dans son corps, une vie d'errances et de malheurs. 

 

Gérard NOEL

 

Le gardien

Pièce d'Harold Pinter.
Mise en scène : Anne Voutey.

Avec Patrick Alaguératéguy, Jean-Philippe Marie, Jacques Roussy.

Lumières : Anne Gayan.
Musique : Philippe Le Goff.

 

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