Qui est Bruscon, ce « comédien d'État » venu malgré lui donner dans un petit village campagnard d'Autriche une représentation de sa comédie, La roue de l'histoire ? Est-il un poète maudit, un génie magnifique mais incompris, qui porte haut les valeurs et les exigences de l'art ? Ou un raté méchant, détestable, tellement bouffi d'orgueil qu'il est risible dans ses imprécations et autres colères de misanthrope aigri ? Il faut dire que personne ne semble comprendre grand chose à la pièce de théâtre prétendument grandiose qu'il veut faire jouer et qui prétend réunir Churchill, Einstein, Napoléon et Marie Curie… Tout cela a, longtemps, c'est-à-dire jusqu'au dernier acte, beaucoup plus sombre, l'air d'une vaste blague moliéresque.

Comme un vieux con ridicule, aux caprices duquel tout le monde se plie sans trop savoir pourquoi, voici donc Bruscon qui tour à tour pérore, râle, insulte, tyrannise les membres de sa famille qui l'accompagnent sur scène, et ennuie ses interlocuteurs avec ses monologues – et parfois les spectateurs, mais c'est logiquement le jeu qui l'exige. Il amuse aussi, car la cruauté est grotesque et drôle. La figure hiératique de François Clavier sied particulièrement bien au personnage, même s'il l'interprète peut-être avec trop de retenue par rapport à la virulence du texte bernhardien.

Vivante et colorée, la mise en scène de Julia Vidit accentue le comique du contraste avec les membres de la famille de l'hôtelier, habillés de faux culs, coiffés et vêtus à la bavaroise, qui se dandinent et se  bousculent sur scène, affairés qu'ils sont à leur quotidien autrement plus terre à terre en ce « jour du boudin ». L'auberge d'Uztbach est kitsch mais sympathique. De la poussière certes mais pas de purin malodorant comme pour la création à Salzbourg en 1985. Plutôt que la critique de la société, l'interrogation du spectateur se focalise encore davantage sur Bruscon qui apparaît comme un double de l'auteur qui se met lui-même en abyme. On dit souvent de Thomas Bernhard en général, et de ce Faiseur de théâtre en particulier, qu'il dresse un procès à charge contre l'Autriche et ses démons ; mais que penser alors de la férocité ravageuse avec laquelle il se traite lui-même ?

Frédéric Manzini

 

Le faiseur de théâtre

De Thomas Bernhard
Mise en scène Julia Vidit assistée de de Joséphine Sourdel 
Scénographie Thibaut Fack 
Lumière Nathalie Perrier 
Son Bernard Valléry
Costumes Valérie Ranchoux 
Masques Daniel Cendro 
Maquillage Catherine Saint-Sever 

 Avec : Amandine Audinot, Anne Bellec, François Clavier, Charlotte Corman, Étienne Guillot,
Aurélien Labruyère, Nolwenn Le Du, Véronique Mangenot