L'AIDE-MÉMOIRE

Au théâtre Essaion
6, rue de la Pierre-au-lard
75004 PARIS.
Tel : 01 42 78 46 42 

À partir du 21 avril 2014, lundi et mardi à 21h.

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Mis en ligne le 29 avril 2014

L'aide mémoire

Delphine Seyrig et Henri Garcin, en 1968, créèrent la pièce, signée Jean-Claude Carrière. Cet auteur polymorphe, scénariste de Buñuel tout autant que de Milos Forman, faisait ici ses débuts au théâtre : la pièce évoque un peu, s'il fallait trouver des références, Harold Pinter. Il y a ce même côté foutraque et maniaque, cette façon de partir d'un incident mineur qui déclenche une série de contretemps voire de cataclysmes, puisque c'est la vie même des personnages qui va être changée. Bref résumé : Jean-Jacques, cadre et séducteur, a visiblement des problèmes de mémoire, puisqu'il consigne dans une sorte de grand cahier (le fameux « aide-mémoire » du titre) ses conquêtes : elles sont une centaine, notées soigneusement, le tout assorti de commentaires et photos. Celles qui n'ont pas donné leur prénom n'apparaissent pas (eh oui, c'est comme ça !). Par contre, une même conquête peut apparaître deux fois… si l'histoire, à quelques années de distance, s'est reproduite. Ce matin-là, alors qu'il va partir au travail, notre héros trouve dans son salon-chambre (il a un studio !) une jeune femme qui prétend s'être trompée de porte. Malgré ses supplications, elle s'incruste. Il accepte qu'elle reste…un peu. Le soir, elle est toujours là, plongée, malgré son interdiction, dans le fameux aide-mémoire où sont compilées ses conquêtes. Même jeu. Elle a installé ses robes à la place de ses vêtements à lui. Elle argumente. Pressé (il doit sortir avec un ami… et deux filles) il temporise et ne revient que le lendemain matin. Et ce qui s'ensuit.

Carrière, jeune auteur de 37 ans, ne maîtrise pas encore tous les éléments de la fiction, mais peu importe : Ce qui est à noter, c'est  que ça marche. Le public réagit au sans-gêne de la jeune femme. Il prend partie pour ce pauvre don Juan dépassé par les événements, d'abord victime puis volontaire. La pièce, malgré ses faiblesses (écriture souvent grise, situations peu ou mal exploitées…) touche quand même à l'essentiel, les relations hommes-femmes. Point n'est besoin de lire ou relire le livre fameux de John Gray, nous en avons ici une illustration frappante. L'homme se méfie quand on s'offre trop ostensiblement à lui. Il court, il court…sans forcément voir ce qu'il a sous les yeux. La femme a (aurait) besoin de sécurité, mais pas trop non plus. Avec ces deux personnages un peu « barrés », à la fois ordinaires et exceptionnels, chacun(e) peut extrapoler. C'est sans doute pour cette raison, avec le fait qu'elle parle de séduction et de manipulation, que « L'aide-mémoire » a un côté fascinant.

Dans le décor, un peu vintage, une place particulière est accordée au « dressing », lieu symbolique de pouvoir : qui y mettra ses vêtements et comment ? Et comment acceptera-t-il ceux de l'autre ? Pas d'effets particuliers, sauf cette position figée qu'adoptent les personnages, à la fin de chaque acte. Plutôt réussie. Quant aux comédiens, ils sont bien dans leur rôle : charmeur qui commence à être un peu fatigué, pour Michel Laliberté. Guylaine Laliberté, en Suzanne, réussit à être à la fois diaphane et opaque. Elle conserve un côté boudeur (et tragique) qui séduit et interpelle. Simplicité et naturel sont donc au rendez-vous, pour un spectacle qui mérite qu'on s'y arrête.

Gérard Noël

 

L'aide-mémoire

De Jean-Claude Carrière.
Mise en scène : Michel Courtois.

Avec : Guylaine Laliberté, Michel Laliberté.

Conception lumière : James Groguelin.
Affiche : Marianne Seguin.
Régie : Marine Viot et Amandine Gasneau.