LA PUTAIN DE L'OHIO

Théâtre de l'Aquarium
La Cartoucherie
Route du Champ de Manœuvre
75012 Paris
Tél : 01 43 74 99 61
Du mardi au samedi à 20h30, le dimanche à 16h

 

Critique d'Élishéva Zonabend

 

Un plateau entièrement recouvert de poussière avec, pour seul décor, deux immenses poutres posées perpendiculairement l'une sur l'autre.

Au-dessus, contre le mur du fond, trois panneaux gigantesques illustrés de photos invitant à l'évasion et portant l'inscription JUST A DREAM.

Deux univers. Le réel et l'imaginaire.

Dans la vie réelle, Hoyamer le vieux mendiant, son fils Hoyamal, également mendiant, et Kokotska la prostituée, mènent une existence misérable et sordide, uniquement déterminée par la satisfaction de leurs besoins, qui tournent autour du sexe et de l'argent. De l'argent, surtout, ce nerf de la guerre qui régit les rapports des personnages entre eux.

Pour s'évader de leur condition, ils rêvent… Kokotska imagine – sans trop d'illusions d'ailleurs – qu'un milliardaire américain l'emmènera à Los Angeles ; Hoyamal, que son père est un richissime homme d'affaire qui lui laisse un héritage colossal ; Hoyamer, que son rejeton est un acteur célèbre à Hollywood mais, surtout, il fantasme sur la putain de l'Ohio qui « est tellement riche qu'elle ne prend pas d'argent, et étant donné qu'elle ne prend pas d'argent, elle n'a pas besoin de toi. » Mais alors, comment l'approcher ? En s'immisçant dans son rêve, confie le mendiant à son fils dans une scène surréaliste suscitant les interrogations du spectateur qui ne sait plus où commence et où finit le rêve qu'il voit se démultiplier à l'infini. Et si c'était Kokotska, finalement, qui avait rêvé toute cette histoire ?

Rêvée ou non, l'histoire met en scène des personnages marqués par le sceau de l'absence – absence de sexe, absence d'argent – et du manque qui en découle. Mais le manque ultime, c'est le manque d'amour. Une demande d'argent, c'est une demande d'amour, nous dit la psychanalyse. Or, n'est-ce pas précisément cela que réclame Hoyamal à son père lorsqu'il lui reproche soudain de ne pas le caresser ? ! N'est-ce pas l'amour qui fait défaut à ces trois épaves à la dérive ? Or, si l'amour ne les a pas unis, il les réunit dans un tableau final où Kokotska, Hoyamer et Hoyamal apparaissent enlacés pour l'éternité.

Mise en scène, d'une manière sobre mais très efficace, par Laurent Gutmann, cette pièce du dramaturge israélien Hanokh Levin s'avère moins noire qu'elle ne l'avait semblé de prime abord. La crudité des propos et de certaines scènes – fornications, masturbation – n'étonne pas de la part d'un auteur connu pour avoir souvent suscité indignation, controverse et censure, et ne vire jamais à l'obscène. L'humour est omniprésent : on rit beaucoup des situations et des dialogues, d'une grande cocasserie. Le jeu des acteurs – Guillaume Geoffroy, Éric Petitjean et Catherine Vinatier – d'une grande justesse, sert un texte fort dont la traduction française est signée de Laurence Sendrowicz, qui a contribué à faire connaître en France cet auteur à l'œuvre impressionnante.

 

 

Critique de Nicole Bourbon

 

L'auteur israélien, Hanoch Levin n'a pas l'habitude de faire dans la dentelle. Ses pièces ont souvent suscité indignation et censure, comme « Les souffrances de Job » ou « Le patriote ».

Son univers violent, sombre, sans concession ne pouvait que séduire Laurent Gutmann, metteur en scène exigeant et audacieux.

Sur le plateau uniquement traversé de deux grandes IPN, une jeune femme dort, couchée sur une des poutres. À sa tenue, on devine la prostituée.

Puis entre Hoyamer, petit bonhomme sale et hirsute, enveloppé dans un immense imperméable kaki.

L'action est lancée, vont se succéder sans trêve une suite d'affrontements âpres et douloureux, auxquels s'ajouteront ceux du fils d'Hoyamer.

Hanoch Levin n'a pas peur des mots ni des actes, il fait fi de la bienséance et nous décoche uppercuts après uppercuts, pour mieux servir son propos désespéré. Le langage est très cru, il n'hésite pas à montrer actes sexuels et masturbation.

Éric Petit-Jean livrant ici une véritable performance d'acteur, Guillaume Geoffroy dans une composition époustouflante et Catherine Vinatier magnifique, tous se livrent sans compter et sans se ménager.

On rit malgré tout alors qu'on devrait pleurer.

Ces trois personnages, touchants dans leurs solitudes et leurs peurs nous renvoient une image de nous-mêmes sans concession évoquant les rapports à l'argent, les relations douloureuses père-fils

« Pourquoi n'es-tu plus celui que j'admirais, demande le fils, Pourquoi n'es-tu plus Dieu ? »

À quoi le père répond : « Pourquoi n'es-tu plus l'enfant aux joues roses ? »

Insensiblement l'action bascule, on ne sait plus dans quel monde on est, on ne sait même plus qui sont les personnages ni même s'ils existent vraiment.

Le rêve, l'imaginaire comme seules échappatoires possibles à un monde sordide et comme ultime pied de nez à la mort inéluctable.

Une œuvre assurément qui va diviser, faire parler, déranger, susciter enthousiasme ou rejet. Une œuvre en tout cas à laquelle on ne peut rester indifférent, portée par trois comédiens impressionnants de réalisme dans une mise en scène d'une grande violence.

 

 

La putain de l'Ohio

d'Hanokh Levin
Traduction Laurence Sendrowicz - Ed. Théâtrales, Théâtre Choisi V, comédies crues
Mise en scène Laurent Gutmann
Costumes Axel Aust
Lumière Yann Loric
Maquillage et perruques Catherine Saint Sever
Régie générale Armelle Lopez.
Direction de production, diffusion Emmanuel Magis/ANAHI

avec Guillaume Geoffroy, Éric Petitjean et Catherine Vinatier

 

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