JUSTE AVANT LA FIN DU MONDE

Au théâtre L'Étoile du Nord
16 rue Georgette Agutte
75018 PARIS
01 42 26 47 47
Du mardi au samedi 21 heures jusqu'au 1er décembre

 

Une généreuse lucidité

Il est le fils parti trop tôt de la maison, parti des années sans jamais revoir ni son frère, ni sa petite sœur, ni sa mère, ni sa belle-sœur qu'il ne connaît même pas, comme il ne connaît pas ses neveux. Et ce jour-là, il revient, il revient avec la certitude qu'il va mourir d'ici un an tout au plus. Il nous le dit à nous, spectateurs. Sa famille est là sur le plateau. Il vient leur rendre visite, sans doute une première et dernière fois avant de disparaître pour de bon.

Le ton est donné, le point de vue aussi. Celui de ce fils qui revient occuper pour un moment la place qu'il a laissée vide dans leurs vies.

Et on rit car les membres de sa famille sont des gens simples : des toi, des moi, des nous. Ils sont ceux qui sont restés autour de la mère, des laborieux, pas des rêveurs comme lui, Louis, l'absent, celui qui a laissé plus qu'un vide : une présence idéalisée par le temps, trop attendue, comme ces cartes postales qu'il envoie à chaque date importante de la famille.

Pour ceux qui sont restés, toute place est une plainte, une entrave, une sorte de devoir et celui qui n'est pas là au jour le jour, celui qui a réussi à s'évader, même s'il souffre de la solitude et de la rupture avec son enfance, celui-là a le beau rôle. Car l'absent finit toujours par être auréolé de grâces. « Ils se souviendront de ton sourire » dit la mère.

Et on rit de partager intimement ces colères, ces reproches, ces jalousies pour celui qui a réussi à s'échapper. On rit de cette difficulté à vouloir régler sur-le-champ tous les vieux contentieux. On rit de cette difficulté à dire car le temps presse. Les mots se bousculent aux lèvres des personnages.

Ils savent qu'il est la blessure qui revient, non pas pour panser les plaies qu'il a occasionnées par son départ, au contraire, dans un esprit totalement égocentrique, il revient pour demander encore, demander encore l'amour, alors qu'il a provoqué dans tous les cœurs l'horrible sentiment d'abandon.

Et on rit car ces personnages sont si intimes, nous touchent si fraternellement qu'on s'attend à ce qu'un spectateur se lève et soudain se mette à dire, avec toute sa maladresse, sa lutte contre la solitude, sa lutte contre l'enfermement.

Alors on rit. On se demande par quel miracle la vision personnelle et fatalement étriquée d'un personnage sur ses proches devient vision panoramique au point que ceux-ci finissent par occuper presque tout l'espace, au point que le fils qui revient dans la maison ne s'exprime presque plus. Sa présence seule suffit à déclencher la parole. Et personne pour l'écouter, écouter ce qu'il a à dire : il va mourir, d'ici un an, il sera mort.

Pas de manichéisme ici. Il n'y a pas de « beau rôle » dans cette famille. Même celui de l'absent. Celui qui est parti pour être regretté. Parti pour finalement rester, rester dans les souvenirs de ceux qu'il laisse, qu'il abandonne. Partir c'est continuer d'exister dans la mémoire de ceux qu'on laisse.

Serge Lipszyc à demandé à ses acteurs un travail aussi exigeant que celui demandé aux danseurs d'opéra, mais peut-être plus difficile encore car il s'agit ici de danser non seulement avec le corps mais avec les mots, les sentiments, les aveux. Et encore danser entre la scène et le public qui est lui aussi mêlé à l'histoire comme un autre membre de la famille.

Tout se déroule donc dans l'ordre immaculé de cette maison de famille, maison de l'enfance où vivent encore la mère et la fille. Une table et des chaises, une volée de marche qui mène à une lucarne ouverte sur l'extérieur, sorte de tour de guet d'où l'on devine que l'on a attendu le retour du fils, quelques objets à la présence trop insistante et, en avant scène, deux fauteuils figurant le salon où les personnages tentent quelques conciliabules plus personnels : c'est tout ou presque. Toutes les étapes de la journée se déroulent sans heurts grâce à des changements de lumière souples et harmonieux, comme une mécanique bien huilée : l'arrivée, l'accueil, les mots puis le départ.

Et l'on repart nous aussi, porté par le sentiment d'avoir participé à un drôle de cérémonial, doux-acide, généreux et lucide.

 

Bruno Fougniès

 

 

Juste avant la fin du monde

Un spectacle produit par l'Aria
Texte de Jean-Luc LAGARCE (Éditée aux Solitaires Intempestifs)
Mise en scène Serge LIPSZYC

Avec Cédric Appietto, Marie-Ange Geronimi, Nathanaël Maïni, Marie Murcia, Chani Sabaty

Décor, scénographie et costumes Laetitia Franceschi
Lumière Benjamin Gicque

 

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