CORPS ÉTRANGERS

Théâtre de la Tempête
Cartoucherie de Vincennes
Route du Champ de Manœuvre
75012 Paris
Tél : 01 43 28 36 36

Jusqu'au 16 février
du mardi au samedi à 20h30, le dimanche à 16h30

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Mis en ligne le 21 janvier 2014

Corps étrangers

C'est d'abord une odeur de tourbe, des bruits d'eau, d'orage et des brumes qui stagnent sur une scène recouverte de terre sombre, humide et végétale. Plongée dans un univers souvent nocturne, mi-aquatique, mi-laboratoire, d'où surgissent des êtres hors du temps.

Un scientifique, docteur de son état, en quête de l'essence de vie à travers les corps qu'il dissèque en amphithéâtre. Un apothicaire fabriquant d'onguents et de potions, moitié charlatan, moitié pourvoyeur en cadavre pour les besoins du premier. Et puis un géant bossu, du moins un être de taille exceptionnelle, portant son existence solitaire comme une fatalité pâle et douce.

Stéphanie Marchais a écrit là une pièce qui puise à pleines mains, à pleine bouche dans l'imaginaire des mythes et des contes modernes, de ceux qui s'inspirent des peurs provoquées par les folies scientifiques : découvrir le secret de la vie, le lieu de l'âme, les mystères de l'humain. Tout parle, on sent flotter des terreurs des Carpates, on devine dans l'ombre les prostitutions londoniennes, on pense à la vénus Hottentote, Saartjie Baartman, dont le corps a erré plus d'un siècle de foires en salons bourgeois, de laboratoires en musées, avant de retrouver sa terre, une digne sépulture et son identité.

Thibault Rossigneux réussit là une impressionnante création scénique, insufflant dans l'esprit des spectateurs toutes ces impressions fugaces et prégnantes comme s'il touchait l'inconscient collectif : effets sonores presque constants, projections vidéo, jeux scénographiques et lumières élaborées, sans parler de l'apparition céleste d'un robot humanoïde utilisé dans l'apprentissage des dissections par nos futurs chirurgiens.

Cela parle de la dérive scientifique… de ces sociétés ivres de ce pouvoir capable de toutes les magies comme de toutes les horreurs.

Une quête de trente ans nous est racontée : une obsession morbide de ce docteur pour ce géant dans le corps duquel il espère découvrir le secret de la vie et ensuite, s'enivrer de la gloire qui accompagnera sa découverte.

Aucun dialogue entre le docteur et le géant. L'un est l'objet d'étude de l'autre. Un objet d'étude est inerte sinon l'étude n'est pas scientifique. Mais Stéphanie Marchais nous donne à entendre la voix – et quelle voix, quelle présence rare donnée par Daniel Blanchard, géant et ogre bon, doux et humain – la voix de cet être rejeté par les autres à cause de son apparence différente. Un souffle humain face à l'ambition scientifique et le mercantilisme. Une sorte de dialogue à trois où seules deux personnes se comprennent. Le géant, lui, n'est pas entendu.

Il y a quelque chose de pur et de naïf dans ce spectacle, un conte, une imagerie picturale, une lointaine présence qui lance un appel parfois un peu trop bon-enfant à la tolérance.

Bruno Fougniès

 

 

Corps étrangers

De Stéphanie Marchais (Éditions Quartett)
Mise en scène Thibault Rossigneux, scénographie Rachel Marcus et Thibault Rossigneux
Lumières Xavier Hollebecq
Vidéo Arthur Gordon
Costumes Julie Deljehier
Technique Ugo Mechri
Stagiaire Thibault Lecaillon
Création sonore Christophe Ruetsch

Avec
Laurent Charpentier, Philippe Girard, Géraldine Martineau, Daniel Blanchard
Avec la voix et l'image de Laure Calamy et la participation du robot humanoïde Ilumens