COMMENT LE DIRE ?

Théâtre de Nesle
8, rue de Nesle
75006 Paris
01 46 34 61 04

Jusqu’au 31 mars
Jeudi, vendredi et samedi à 21h.

 

Comment le dire ? loupe 

Il pleut au Théâtre de Nesle. Et cette pluie qui tombe dans la pièce catalane de Josep M. Benet i Jornet est aussi lumineuse que ténébreuse. Anodine pluie secouée par quelques grondements d’orage et quelques claquements de toiles déchirées qui vont accompagner les deux personnages de la pièce tout au long. Mais tous deux sont à l’abri dans l’intérieur sobre et immaculé du logement de l’étudiante, même si le professeur de littérature qui y surgit sans prévenir est lui trempé comme une soupe, sans manteau, ruisselant, intriguant.

C’est à cette rencontre inattendue que nous allons assister en temps réel. Un échange qui pourrait être un duel, un combat, un corps à corps. C’est en fait à une joute d’esquives et d’aveux, une suite de dévoilements successifs, une série d’interrogations, de suspicions et de méfiance. C’est aussi et avant tout l’effort palpitant qu’il faut parfois aux femmes et aux hommes pour dire, pour avouer, pour être celui qui porte la nouvelle.

Mots après mots, la vie de ce professeur de l’enseignement supérieur, émérite, romancier de talent et celle de cette étudiante douée, élève favorite, jeune pousse remplie d’espoir et d’avenir radieux vont nous être révélés. Mais ce sont surtout l’étrange ballet qu’ils dansent sur leurs silences, leurs regards, leurs attirances et leurs dégoût qui forment la chair de la mise de scène de Béatrice Laoût et d’Hervé Petit (lui-même dans le rôle du professeur).

Le texte de Josep M. Benet i Jornet est construit comme un thriller. Chaque secret dévoilé ouvre sur un autre pan inexplicable de l’histoire et l’on est fasciné par cette quête de vérité qui étincelle du frottement de ces deux êtres à l’opposé l’un de l’autre sur la courbe de l’existence : l’un finissant sa carrière et l’autre sur le point de commencer tout.  Une embrassade à distance qui permet d’englober toute l’étendue de la vie, grâce à l’évidence d’un dialogue fait de simplicité.

L’auteur touche avec ce texte à l’essence même de l’existence : le destin, les passions, le sens d’une vie, sa force et les choix qu’il faut faire, les élans qu’on ne peut nier, les contraintes que l’on doit parfois s’imposer.

Au fond de cette histoire, il n’est presque question que d’inéluctable.

Et partant de là, de liberté également.

Le décor très épuré, blanc, donne du relief aux corps des deux acteurs. Hervé Petit, totalement imprégné par son rôle crée un personnage d’une troublante sincérité, tout en nervosité, violence contenue. En face de lui, la frêle étudiante interprétée par Elsa Dupuy est tout d’abord d’un naturel déroutant qui, à mesure qu’avance la pièce, prend de plus en plus matière, s’affirme et sème une émotion talentueuse.

Descendant les escaliers en pierre, on croit se rendre dans la cave voutée de la salle du théâtre de Nesle, mais dès que les lumières éclairent la scène, on se retrouve ailleurs, en voyage, dans l’univers catalan pluvieux d’une rencontre hors du temps. On ne vous dira pas le coup de grâce final de cette pièce remarquable, sachez simplement qu’il vous surprendra et tout, alors, deviendra clair et lumineux.

Bruno Fougniès

 

L’orage gronde. Un homme débarque, trempé, dans l’appartement d’une jeune femme. Il est romancier et professeur de littérature à l’Université ; elle est sa meilleure étudiante. Tous deux sont nerveux, et pour cause, c’est la première fois qu’ils se retrouvent dans cet espace qui, contrairement au bureau de la faculté ou au café du coin, n’est pas neutre.

Qu’est-il venu faire ? Ou plutôt, qu’est-il venu dire ? C’est bien cela le motif de la pièce. Mais « lâcher le morceau » s’avère plus que compliqué, c’est un chemin sinueux et tortueux.

Cette tension, qui règne entre les deux personnages, et que la jeune fille verbalise à de nombreuses reprises, envahit le spectateur tout au long de la pièce.

Lui, gêné, empêché, tourne en rond, s’énerve, dit à la jeune fille qu’elle ne sait rien mais la rassure aussi sur son don pour l’écriture. Elle, elle lui parle de son petit ami, de son angoisse à l’idée de présenter son travail de fin d’études, s’excuse d’avoir porté un jugement violent et sévère sur le dernier roman de son professeur.

Le jeu de diagonales suggère les rapprochements et les éloignements des deux personnages en dessinant sous nos yeux toute la complexité de cette relation et de cette discussion. Les deux acteurs, Elsa Dupuy et Hervé Petit, explorent de manière convaincante une large palette d’émotion : agacement, retenue, impatience, énervement et bien d’autres. Il est question de jalousie, de vocation, d’amour, de paternité, de travail, d’université, mais au-dessus, toujours plane quelque chose de plus important et néanmoins mystérieux. C’est ce mystère qui fait parfois pencher l’ambiance de la pièce du côté de celle du thriller…Ainsi, tout le texte montre la difficulté à mettre des mots sur les choses… comme quoi, même les spécialistes des mots et de la littérature ne savent comment « le » dire…

Ivanne Galant

 

Comment le dire ?

Texte de Josep M. Benet i Jornet traduit du catalan par Hervé Petit
Mise en scène : Béatrice Laoût et Hervé Petit
Décor et costumes : Caroline Mexme

Avec : Elsa Dupuy et Hervé Petit

 

Mis en ligne le 7 mars 2018