CLAIR DE FEMME

Le guichet Montparnasse
15, rue du Maine
75014 Paris
Tel : 01 43 27 88 61

Jusqu’au 2 juillet
les vendredis et samedis à 19h00
dimanches à 15h00

 

Clair de femme loupePhoto Sandra Sanji

Histoire d’amours.

C’est une rencontre de hasard. Un hasard que seul le roman peut engendrer, et le réel exceptionnellement.  Une sorte de collision entre deux abîmes sur le trottoir d’une rue parisienne. Un coup de foudre étranger à tout romantisme, toute guimauve, tout angélisme, mais coup de foudre quand même, le même choc que lorsque deux grands blessés de l’existence se reconnaissent d’un seul regard pour frères d’épreuves et compagnons d’armes, toujours debout, malgré la violence du combat de la vie.

Lui, Michel, est en transit… en instance de… suspendu au rythme cardiaque de celle qu’il aime, qui est en train de mourir, là-bas, dans l’appartement où ils habitaient. Une vie rongée par la maladie qu’elle a décidé de quitter ce soir-là. Le laissant avec l’obligation de vivre, et la promesse d’aimer encore, seul, bagage à la main, orphelin de lui-même.

Elle, Lydia, agit comme une femme qui hésite entre noyade et survie, l’esprit griffé par la perte de sa fille dans un accident où son mari également a disparu. Une catastrophe de vie encore fraîche d’à peine six mois, dont elle tente de s’extirper, pauvre maintenant d’une vie sans but.

Le grand cœur, le grand style, la pensée si humaniste de Romain Gary peuvent seuls réussir à faire de ces tragédies humaines des trajectoires lumineuses, éblouissantes d’espoir, de vie. Une rencontre improbable mais magnifique, coulée dans le métal de la liberté, au cours duquel ces deux êtres tous deux chargés d’un passé immense, loin de la jeunesse, loin de toute naïveté, de toute illusion, parviennent en frottant les unes contre les autres leurs détresses, leurs désespoirs et leurs révoltes parviennent à faire jaillir l’étincelle de l’espoir. 

Il n’a pas du être facile à Alexandra Dadier et Laurent Schteiner de réaliser cette adaptation pour le théâtre de ce texte foisonnant de phrases sublimes, porteuses de sortes d’évidences philosophiques, dans cette fausse naïveté si chère à Romain Gary. Pourtant, cette adaptation parvient à cerner l’axe essentiel du livre : une ode à l’amour, dans le sens où l’amour est nécessité pour l’homme, pour la femme, pour combler cette vacuité que chacun ressent et qu’il nomme vertige de solitude, une ode au couple.

Souvent, Gary s’est référé au monde animal ou à celui de l’enfance pour chercher des réponses là où le monde des adultes était hermétique (on se souvient du python de Gros Calin). Il y ici la même quête : une recherche de relations humaines qui transcendent et dépassent le passionnel, le romantique et même l’érotique pour chercher d’autres partages.

Tout le spectacle est cette exploration nouvelle : peut-on imaginer une affection, un besoin de l’autre, une idéalisation de l’autre qui soit sur d’autres bases que celle de l’amour passion, coup de foudre… ?

Durant une nuit entière, entre l’aéroport de Roissy, un cabaret nocturne du centre de Paris avec un dresseur de caniches, une soirée dans la bourgeoisie russe, un appartement, Michel et Lydia vont s’étreindre verbalement, mentalement, physiquement et chercher, en se découvrant l’un l’autre sans aucun fard, petit à petit, à se sauver l’un l’autre pour recommencer à vivre.

Durant toute l’histoire, l’ombre de la femme de Michel plane : c’est à elle qu’il a fait la promesse de faire revivre leur amour à travers une autre, c’est elle aussi qui viendra clore la nuit en terminant ses jours. La belle idée de cette mise en scène est d’avoir incarné cette femme. Elle apparaît, intervient, n’est visible que de Michel, mais sa présence révèle la bénédiction qu’elle donne à celui qu’elle aime pour qu’il continue d’aimer, même une autre. Car c’est elle l’astre généreux.

C’est une haute idée de l’amour, de la tendresse, de l’affection et du partage que charrie ce spectacle, qui réussit à donner de l’élégance même aux écarts les plus sauvages : ceux que peuvent provoquer les douleurs insupportables comme la perte de l’être aimé.

Bruno Fougniès

 

Clair de femme

De Romain Gary

Adaptation Théâtrale : Alexandra Dadier , Laurent Schteiner 
Mise en scène : Alexandra Dadier 
Avec : 
Guy Hassid, Isabelle Mérie, Alessandra Puliafico, Diana Sakalauskaité, Laurent Schteiner

 

Mis en ligne le 25 mai 2017