AMÉDÉE

Ionesco par Planchon

Incontournable à Lyon depuis les années 50, Roger Planchon est depuis toujours un metteur en scène inventif, son but étant depuis l'origine de dépoussiérer les classiques afin de les rendre accessibles au plus grand nombre. Il en fait une nouvelle fois la preuve avec sa dernière création dont c'était la première hier soir dans sa très belle salle du Studio 24 : « Amédée ou Comment s'en débarrasser » de Ionesco.

Le rideau s'ouvre sur un décor qui parait on ne peut plus classique au premier abord : un intérieur petit-bourgeois, tapisserie à rayures, une fenêtre au centre, portes à jardin et à cour. Mais au fil du spectacle, cette superbe réalisation des ateliers du TNP va révéler de nombreuses astuces : fenêtron qui apparaît soudainement, décor qui devient maquette et fenêtre qui rétrécit. Celui du dernier acte avec des airs de roman de Jules Verne, est particulièrement réussi.

La pièce va se dérouler sans un seul temps mort : le premier acte nous fait partager le quotidien étriqué d'Amédée, écrivain qui n'a plus écrit une ligne depuis 15 ans, et de son épouse Madeleine, qui fait bouillir la marmite en étant standardiste. Plus un mystérieux personnage, apparemment mort, qui occupe une chambre et dont ils parlent sans cesse, qui phagocyte complètement leur univers, tandis que prolifèrent de mystérieux champignons, synonymes de décomposition. Au deuxième acte, l'irruption du facteur fait éclater leur fragile équilibre : le cadavre n'en finit plus de grandir, ses pieds immenses envahissent la scène. Qui est-il ? Un bébé qu'on leur avait confié, une femme qu'ils ont laissée se noyer, un amant de Madeleine qu'Amédée aurait tué ? Ou plus symboliquement leur amour qui n'en finit plus de mourir depuis 15 ans ? Le couple décide alors de se débarrasser du corps. Cette solution déclenche une série d'actions surréalistes et va modifier complètement leur existence, dans une grande confusion de gestes et de discours. Le dernier acte, dont Ionesco lui-même n'était pas satisfait, nous laisse avec nos interrogations : l'envol d'Amédée est-il le signe d'une libération par la fuite ou le suicide ? Que va devenir Madeleine ?

Roger Planchon et Colette Dompiétrini retrouvent là les personnages qu'ils avaient créés il y a une cinquantaine d'années. C'est dire s'ils les maîtrisent parfaitement : leur débit de paroles, leur façon d'arpenter sans cesse la scène, leurs gestes parfois exagérés, retracent parfaitement la confusion des esprits. Mais 2007 n'est pas 1955, et Planchon utilise cette fois les progrès de la technique. Des scènes filmées sont projetées, une bande son joue le rôle de personnages secondaires. Sur certaines scènes, le mélange voix des comédiens avec celles qui sont enregistrées est particulièrement réussi. Mention spéciale à Patrick Séguillon qui fait tout au long de la pièce des apparitions remarquées : facteur, GI et prostituée au dernier acte, il intervient en chanteur play-back dans ce qui est une excellente trouvaille, les chansons dont Planchon a parsemé sa mise en scène comme autant de cailloux de Petit Poucet qui nous guident dans ce délire.

 

Nicole Bourbon