UNE SAISON EN ENFER

Au Lucernaire
53 rue Notre-Dame des champs
75006 Paris.
 01 45 44 57 34

Jusqu’au 6 mai
du mardi au samedi à 19h00

 

Une saison en enfer loupe © DR

Voilà une version profonde et troublante de l’une des œuvres phare de Rimbaud. Un texte qui fait partie du rappel magnifique de nos souvenirs de jeunesse pour ceux du moins qui ont comblé quelques nuits d'insomnie adolescentes par la lecture de cette prose où les ténèbres du monde combattent les lumières de l'imagination.

Profonde et troublante mise en scène ou en abîme, c’est selon.

Comme sorti du magma initial du monde d’avant sa création, être mi-aquatique mi-terrien, suspendu au dessus de l’eau miroir du fond de la bouche d’un cratère, surgi dans un halo incertain, l’être qui va nous narrer ces « quelques hideux feuillets d’un carnet de damné » murmure. Une voix tout d’abord tellurique, grondement sourd et incertain d’ondes parcourant la matière. Jean-Quentin Châtelain extrait de toutes les parties de son corps ces sons qui se métamorphosent en mots et les mots en images et les images en émotions.

Tantôt, c’est une voix fleuve, des vagues, maritimes, qui vient battre l’air comme une tempête, un roulement des marées, tambouriner colères et rires insolents à la face du destin et du monde.

Jean-Quentin Châtelain ne dit pas le texte d’Arthur Rimbaud, il en fait une incantation totalement charnelle, un souffle, un tremblement, une colère et un rire.

Il n’y a plus rien de l’éphèbe jeune dandy, de la gueule d’ange, du poète rayonnant de jeunesse dans ce spectacle ! Rimbaud a pourtant moins de vingt ans lorsqu’il écrit ces textes mais son effort de visionnaire l’entraîne ailleurs, vers des mondes qui enjambent les siècles et le porte de l’antiquité au monde moderne, au progrès. À vingt ans, il y fait aussi sa propre bibliographie et l’analyse de ses écrits, leurs portées, leurs gloires, leurs naïvetés.

« Elle est retrouvée !
Quoi ? l’éternité.
C’est la mer mêlée au soleil… »

Non décidément, ce n’est pas tout à fait un homme qui est là face à nous et nous emporte dans ses évocations, c’est une créature antique, être condamné par des dieux aveugles à une lucidité violente, tel Sisyphe, tel Prométhée, c’est Rimbaud le voleur de feu tombé dans l’enfer de vivre mais jouissant toujours de l’exaltation du beau, du vrai, du sublime.

L’extraordinaire performance de cette mise en scène d’Ulysse di Gregorio, tout en variations de lumières et de proférations dans un décor extrêmement évocateur, provoque une fascination rare et diffuse une énergie incroyable. Un bienfait.

C’est chargé de cette énergie bénéfique que l’on redescend de cette salle du Lucernaire si bien nommée, cette fois, la salle Paradis, avec l’envie de revenir très vite assister à une autre représentation et reprendre par tous les sens une nouvelle gorgée de ce divin et enchanté poison.

 « L'automne déjà ! — Mais pourquoi regretter un éternel soleil, si nous sommes engagés à la découverte de la clarté divine, — loin des gens qui meurent sur les saisons. » Adieu – Une saison en enfer – Arthur Rimbaud – Edition 1873

À voir, à revoir, à rêver.

Bruno Fougniès

 

Une saison en enfer

D ’Arthur Rimbaud
Mise en scène : Ulysse Di Gregorio
Costumes : Salvador Mateu
Scénographie : Benjamin Gabrié

Avec Jean-Quentin Châtelain

 

Mis en ligne le 26 mars 2017