L’OCCUPATION

Théâtre de l’Œuvre
rue de Clichy
75009 Paris
02 44 53 88 88

Jusqu’au 2 décembre
du jeudi au samedi 19h,
dimanche à 17h30

L’Occupation loupePhoto © Marion Stalens

Un seul(e) en scène. Encore, allez-vous dire.

Et d’après un roman d’Annie Ernaux. Tiens, tiens.

La seule différence ou les seules différences, plutôt, sont que Pierre Pradinas est à la mise en scène et Romane Bohringer au jeu.

Au début, on soupire : des mots et encore des mots, des projections sur un écran (qui parasitent parfois le propos) et un musicien-ponctueur.

Et puis les choses se mettent en place peu à peu : le texte est fort, disons-le et Romane s’en empare avec énergie et gourmandise pour nous le restituer au mieux. Elle trouve ce délicat équilibre entre le jeu et la confidence. Elle murmure, elle chantonne, elle danse, même. Elle est accompagnée par un musicien tout terrain, qui souligne brillamment la prose d’Annie Ernaux.

Après 18 ans de vie commune, donc et 6 ans avec un certain W. (nous n’aurons droit qu’à l’initiale) Annie le quitte. "L’occupation" est une long, lent et douloureux retour sur cette "passion". Elle nous est décrite avec netteté et toutes les précisions possibles. Annie (et donc Romane) assume tout à commencer par sa jalousie envers la maîtresse de son amant. « La jalousie, c’est peupler le dehors d’images d’un être que l’on ne connaît pas. » De là ses tentatives émouvantes... et comiques à la fois, vu leur exagération, pour identifier la femme en question. Annie le répète à l’envi : « Je voulais LE ravoir ! »  Des films la font penser à lui, et des musiques également. Et des lieux. Paradoxe : elle se sent "maraboutée" et pense à des rituels vaudous pour se débarasser de "l’autre".

Heureusement, elle a le recours de la plume : « Écrire, ce n’est pas si différent que de planter des aiguilles ! » résume-t-elle.

Dans ce portrait en creux de l’amant, il y a les « J’t’ai pas dit ? » dont il parsème ses confidences. Sous-entendu, je l’ai dit à l’Autre, bien sûr... et toi, j’t’ai pas dit ? La comédienne et son musicien en font quelque chose de tout à fait réjouissant.

Au final que retenir de ce spectacle : il donne à voir et à entendre le texte d’Annie Ernaux. Un pur bonheur, tant cette auteure est cash, avec des qualités littéraires que d’autres "romancières de l’auto-fiction" pourraient lui envier.

Et puis cette tranche de vie, on la partage en s’y retrouvant un peu. On rit, on est ému. On ne peut s’empêcher d’opiner quand Annie Ernaux déclare, par la bouche de Romane Bohringer : « La plus grande souffrance comme le plus grand bonheur vient de l’autre. »

Ne révélons pas la fin... que pourtant tout annonce. Et prenons soin de conclure : amoureux ou pas, en couple ou pas, jaloux ou non, vous apprécierez.

Gérard Noël

 

L’Occupation

de Annie Ernaux.
Mise en scène : Pierre Pradinas.

Avec : Romane Bohringer

Musicien : Christophe "disco" Minck

 

Mis en ligne le 5 octobre 2018