ANDRÉA BESCOND

Rencontre avec Andréa Bescond pour Les Chatouilles

 

loupePhoto © Karine Letellier

Il est des spectacles qui marquent une décennie, Les Chatouilles en fait partie. Joué à guichet fermé depuis deux étés à Avignon, plébiscité par le public et la critique du festival Off, cette Danse de la colère débarque enfin à Paris au Petit Montparnasse. Rencontre avec son interprète et auteur Andréa Bescond, une artiste magnifique comme on en rencontre rarement. À l’image de ce premier opus digne des solos époustouflants de Philippe Caubère !

 

— Dans ce spectacle, vous abordez un thème sensible, avec une infinie délicatesse, celui de l’enfance volée pour ne pas dire violée. Etant donné que c’est votre premier opus, on peut imaginer que ce thème vous tenait à cœur. Quel est le déclic qui vous a fait passer des maux aux mots ?

— Je suis danseuse à la base et j’avais déjà évoqué ce sujet il y a une dizaine d’années dans une chorégraphie intitulée « Petit conte de faits ». Et puis ma rencontre avec Éric Métayer, dans une comédie musicale en 2008 où nous jouions ensemble, m’a propulsée sur les planches et j’ai enchainé plusieurs pièces. Mais c’est à la faveur d’une pause forcée, de ma grossesse pour tout dire, que ce récit s’est imposé à moi. Cet acte de pédophilie est extrêmement courant et il concerne énormément de monde.

— Il est évident, quand on découvre cette Danse de la colère (sous-titre des Chatouilles), que la mise en scène virtuose et brillante d’Éric Métayer contribue également au succès de votre performance. Comment avez-vous travaillé avec lui ?

— Au départ, le texte et les tableaux avec les différents protagonistes étaient foisonnants. Il a fallu faire des choix et, comme je n’ai pas d’ego d’auteur, Éric m’a aidé à faire le tri et à structurer ce spectacle entre écriture et danse. J’avais confiance dans son regard, dans sa capacité à casser le rythme, à dynamiser les dialogues et à apporter la légèreté et la fantaisie qui le caractérisent. Personnellement, mes engagements artistiques sont plutôt dramatiques, j’y apporte ma violence, ma colère et lui arrive avec sa tendresse et son côté enfantin. Cette complémentarité est notre force.

— La galerie de personnages que vous interprétez dans Les Chatouilles sont hauts en couleurs, voire certains terriblement cruels comme la mère ou le policier qui prend la déposition. Grossissez-vous le trait ou existent-ils vraiment ?

— Tout ce que je dis ou décris, je l’ai lu, vécu ou entendu. Je n’invente rien. D’ailleurs, les psychanalystes qui viennent voir le spectacle me disent que c’est criant de vérité ! Mais je ne condamne personne, chacun de nous est dans sa propre vérité. La mère, en adoptant cette attitude distanciée, se protège. Car, si elle s’avoue qu’elle n’a rien vu et rien fait, elle s’écroule comme un château de cartes. En refusant toute analyse qui les fragiliserait,  les gens « durs » portent souvent une armure qui les aide à vivre ainsi parfois jusqu’à leur mort.

— Vous êtes danseuse mais également excellente comédienne et cette danse de la colère ne peut pas ne pas évoquer La Danse du Diable de l’inventeur du genre, le « grand » Philippe Caubère qui a enthousiasmé toute une génération. D’ailleurs, ses spectacles mettaient en scène également des personnes qu’il avait longuement côtoyées (Ariane Mnouchkine et le théâtre du Soleil dont il avait été « pensionnaire ») et s’apparentaient à une forme de thérapie. Est-ce le cas pour vous ?

— Caubère est notre père à tous. J’ai bossé des centaines d’heures pour arriver là où j’en suis grâce à l’instinct d’Éric Métayer qui croyait en moi. Il est ma bonne étoile, la bonne rencontre au bon moment qui a changé ma vie ! Plein de gens de talents n’ont pas cette chance.  Aujourd’hui cette reconnaissance du public est une revanche sur la vie pour plein de raisons. Mais ce qui me marque surtout, c’est tous ces gens qui ont été victimes et qui viennent me dire merci à la fin du spectacle ou par courrier. Beaucoup me disent que çà les aide énormément et c’est beau.

— Ce qui est beau aussi, c’est cette fin sur la résilience qui donne de l’espoir. Mais guérit-on vraiment de ses plaies ?

— Cette fin sur la résilience fait écho à toutes les douleurs ou frustrations que chacun peut ressentir. Le besoin d’exister nécessite de passer au-dessus de tout. La résilience apprend aussi à faire le deuil de certaines choses : tout ne s’arrange pas mais cela n’empêche pas d’être heureuse. On avance avec son sac de linge sale, il fait partie de soi-même et il faut s’en servir.  Se charger d’ondes positives et aller de l’avant.

— Ce succès terriblement mérité depuis presque deux ans, c’est du baume au cœur j’imagine ?

— C’est inattendu, c’est gratifiant, je ne m’y attendais tellement pas… Je savoure cette générosité humaine, cette solidarité, cette empathie du public que je ressens physiquement chaque soir au cours de certains passages. C’est beau !

 

Propos recueillis par Patricia Lacan-Martin